La folle inflation du prix des containers (source LSA)

Publié le mercredi 3 février 2021

La folle inflation du prix des containers (source LSA)

Depuis octobre dernier, les tarifs des containers en partance d’Asie ont littéralement explosé à cause d’une pénurie d’équipements due à une hausse de la demande aux États-Unis et en Europe. Un véritable casse-tête pour les transporteurs et les services logistiques des fabricants et distributeurs.

Oscillant traditionnellement entre 650 et 900 $ selon la saison, le prix net d’un container dry$ (c’est-à-dire non réfrigéré) de 20 pieds naviguant entre l’Asie et l’Europe s’est brusquement emballé à partir d’octobre dernier pour dépasser le seuil de 4 300 $ en janvier. Du jamais vu !

De mémoire de professionnels de la logistique, on n’avait jamais vu cela : « Début octobre, un container dry en partance de Chine coûtait environ 950$ pour une contenance de 20 pieds et 1 600 $ pour 40 pieds. Courant octobre, on s’attendait à une légère baisse, comme d’habitude à cette saison. Mais c’est l’inverse qui s’est produit : les prix sont devenus fous, jusqu’à atteindre en janvier 4 500 $ pour les petits containers et plus de 10 000$ pour les grands », expose François Morel, directeur d’agence de l’organisateur de transports internationaux IFB Group. Une flambée des prix assortie de l’apparition de « surprimes » de 1 000$ par container, censées garantir l’embarquement des marchandises… mais parfois sans résultat : « Certaines compagnies maritimes proposaient même un service préalloué sur leurs tarifs forts avec versement d’un acompte de 7 000$, non remboursable si la marchandise restait finalement à quai. Mais comment charger quand il n’y a pas de containers disponibles ? », s’interroge Abdelatif Karali, directeur de la supply chain de King Jouet.

De fait, cette folle montée des prix des containers s’explique par une pénurie inédite de ces équipements. Un effet du coronavirus ? Pas seulement : « Au début de la crise, les compagnies maritimes ont réduit la voilure, supprimant un quart de leurs rotations partant d’Asie et laissant les containers à quai. Elles ne s’attendaient pas à ce que la demande reparte aussi fortement après les confinements en Europe et en Amérique du Nord », explique Jean-Philippe Gras, directeur d’agence du transporteur lyonnais Fatton. « C’est cette hausse de la demande qui a cassé le cycle d’import-export : alors que la consommation reprenait fortement en Europe et aux États-Unis, celle de la classe moyenne chinoise s’est arrêtée, ne reprenant qu’à partir de septembre dernier. Cet écart entre offre et demande a créé un déséquilibre mondial des flux », analyse Nestor Jardon, directeur des achats et de la supply chain du fabricant français de fournitures scolaires Maped.

Effet d’aubaine

Que s’est-il passé concrètement ? Les tarifs des containers ont commencé à grimper sur le flux transpacifique dès juin dernier, avec des prix multipliés par deux en trois mois pour atteindre 3 800$ en août. Préparation de Thanksgiving oblige, cette forte demande s’est maintenue et les compagnies maritimes ont priorisé leurs rotations, toujours réduites, vers le marché américain. « Avec seulement quinze jours de mer, le transpacifique est plus rentable que la navigation d’Asie vers l’Europe. Beaucoup de containers ont été envoyés aux États-Unis, congestionnant les ports. Ainsi, le 16 février dernier, 220 000 containers équivalents 20 pieds étaient encore en rade dans le port de Los Angeles, attendant d’être déchargés », explique Irwin Lefebvre, adhérent au Syndicat des transitaires et commissionnaires en douane du Havre et de la région (STH) et head of middle office chez Bolloré Logistics.

À cela s’ajoute un certain effet d’aubaine pour les compagnies maritimes, un secteur qui s’est fortement concentré au cours des dernières ­années et ne compte plus aujourd’hui qu’une demi-douzaine d’acteurs mondiaux. « Il est difficile de savoir si cette pénurie d’équipements a été organisée sciemment ou pas… Mais si les compagnies maritimes ont, au départ, mal anticipé la sortie de crise, elles auraient dû voir, dès avril, que la demande allait être soutenue. À la place, elles ont continué à supprimer des bateaux, aggravant la pénurie », observe Jean-Philippe Gras.

Le bonheur des compagnies maritimes fait le malheur des importateurs européens : selon Euler Hermes, la hausse du coût des transports en provenance de Chine pourrait coûter entre 4,5 et 7 points de marge aux entreprises de la zone euro, soit un impact de 23 milliards d’euros pour les entreprises françaises au cours du premier semestre 2021. « Nous estimons que le rallongement des temps de livraison pourrait coûter 1,2 point de croissance au PIB de la zone euro en 2021 », ajoute Ana Boata, directrice des recherches macroéconomiques d’Euler Hermes dans un communiqué. En effet, malgré les tarifs élevés, « la qualité de service est de l’ordre, au mieux, du médiocre, avec des retards de cinq à huit jours en moyenne », note Irwin Lefebvre.

Report sur les containers réfrigérés

Pour faire face, entreprises et transporteurs ont essayé de trouver des alternatives, comme le rail ou la route. « Mais les containers sont aussi indisponibles pour le rail, qui est lui-même saturé avec une forte inflation des prix. La route est également saturée et les camions souvent bloqués aux différentes frontières car les mesures sanitaires ne permettent pas une circulation fluide », relève Nestor Jardon. D’autres, comme King Jouet, le fabricant de jouets Vulli et le spécialiste de fournitures scolaires Viquel, se sont reportés sur des containers réfrigérés, plus chers que les dry mais encore relativement disponibles. Des reports qui ont, bien évidemment, entraîné une hausse des prix des réfrigérés.

Ces surcoûts risquent de se répercuter sur les prix aux consommateurs, comme dans le bricolage, également soumis à l’inflation des matières premières : « Les hausses des coûts seront sûrement répercutées à partir de début avril et sur le deuxième trimestre », estime Jean-Luc Guéry, président d’Inoha (Union nationale des industriels du bricolage, du jardinage et de l’aménagement du logement). D’autres, comme Maped ou Viquel, ont choisi de prendre ces surcoûts sur leurs marges. « Pour chaque container, il faut calculer la rentabilité : sur des produits de faible valeur comme des trousses, c’est très compliqué. Nous allons travailler à réduire notre dépendance à l’Asie et chercher des fournisseurs plus proches », témoigne ­Vanessa Viquel-Delangre, CEO de Viquel. Idem chez Bureau Vallée : « Le surcoût du transport ajoute 10 € sur une chaise de bureau vendue 100 €, soit un tarif pratiquement équivalent à ceux proposés par des fournisseurs d’Europe de l’Est », calcule Adrien Peyroles, directeur digital et communication de l’enseigne.

Cette inflation des containers pourrait donc être un argument de plus en faveur de la relocalisation. « Mais retransférer les outils industriels, aujourd’hui très mécanisés en Chine, vers l’Europe prendra du temps », avertit Nestor Jardon. Irwin Lefebvre renchérit : « La relocalisation, avec sa dimension environnementale et sociétale, est dans l’air du temps et cette crise est un accélérateur. Mais la Chine bénéficie toujours d’une forte demande, d’autant que les usines des pays occidentaux continuent à tourner au ralenti à cause de la crise sanitaire. »

Reste donc à espérer que les flux et la disponibilité des containers reprennent normalement après la trêve du Nouvel An chinois. « Les compagnies sont en train de remettre leurs services en ordre de marche. Mais le retour à la normale prendra plusieurs mois avant d’arriver à un juste prix pour tout le monde », estime Irwin Lefebvre, qui prévoit cependant que les tarifs ne redescendront pas à leurs niveaux d’avant-Covid. Il faudra donc s’habituer à un transport plus onéreux. 

Les raisons de la flambée des prix

Après avoir réduit le trafic à cause de la crise du Covid-19, les compagnies maritimes ont mal anticipé la forte reprise de la demande en Europe et aux États-Unis. Priorisés dans les livraisons pour leur accès plus facile et plus rentable, de nombreux ports américains sont engorgés de containers en attente de traitement. La concentration du secteur maritime, aux acteurs durement touchés par la crise sanitaire, a probablement contribué à maintenir des tarifs élevés.

Les conséquences pour les acteurs de la grande consommation

Même en payant le prix fort, les entreprises importatrices ne sont pas garanties de voir leurs marchandises chargées, avec le risque de retards de livraison et ruptures ponctuelles. De nombreux fabricants et distributeurs s’interrogent sur l’éventualité de reporter ces surcoûts sur leur prix de vente. Décision difficile en ces temps de morosité économique. Contraignant certains acteurs de recourir à d’autres moyens de transport (train, fret routier…) ou d’utiliser des containers réfrigérés, le chaos actuel du transport maritime dry met en tension les autres canaux.

Source : LSA du 24 février 2021